LE JOUR OU HILLARY DECROCHERA
Tous les experts s'accordent à penser qu'aucun autre candidat qu'Hillary Clinton n'aurait pu résister aussi bravement à la « vague Obama ». Mais ils sont aussi unanimes à prédire qu'elle ne peut plus rattraper son retard.
Pourtant, les responsables démocrates semblent pétrifiés, comme devant un patient auquel on n'oserait pas annoncer le diagnostic fatal. « Si l'on parlait de n'importe qui d'autre qu'Hillary, nous déclarerions déjà Obama vainqueur », reconnaît Joe Trippi, l'ancien chef de campagne de John Edwards. Quel que soit le mode de calcul (nombre de victoires, de délégués, ou vote populaire), la sénatrice est à la traîne. Elle le resterait même si elle gagnait les dix dernières primaires, un scénario improbable. « Ça a été une campagne si bizarre qu'on hésite à faire confiance aux chiffres », observe l'analyste Charlie Cook. Mais la réalité est là : seul un événement dramatique ou une manœuvre souterraine pourrait lui permettre d'obtenir l'investiture démocrate à la convention de Denver.
Comme si cette menace était dans l'air, personne n'ose siffler la fin du jeu, quand bien même il risque, en s'éternisant, de profiter à l'adversaire John McCain. Quiconque a l'audace d'anticiper la fin prévisible de la partie est aussitôt plaqué sans ménagement par l'équipe Clinton. Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants, vient de recevoir une lettre signée par 21 bienfaiteurs démocrates rappelant avec insistance leurs généreuses contributions au parti. Ils lui reprochent d'avoir dit qu'à son avis, les superdélégués (siégeant ès qualité à la convention) ne devraient pas modifier le résultat du vote populaire. « Les primaires ne sont pas finies et nous vous prions instamment de clarifier votre position sur les superdélégués », écrivent ces supporters de Clinton.
Le souvenir de 1924
À ses partisans, l'ancienne First Lady promet de poursuivre la lutte « jusqu'à Denver ». Elle y est encouragée par son mari, jamais enclin à concéder une défaite. « Quand elle gagne du terrain, ils disent : mettons fin à tout ça, ne nous divisons pas », ironise Bill à propos de l'équipe adverse. Les sondages indiquent pourtant que 20% des électeurs d'Obama et de Clinton préfèreraient voter pour McCain en novembre que pour leur rival démocrate. « Elle est incroyable, elle possède l'audace du sans espoir », commente David Brooks dans une allusion aux mémoires d'Obama, « L'audace de l'espoir ». Le chroniqueur conservateur du New York Times évalue ses chances à 5% et prédit sa « longue défaite : pendant trois mois ou plus, la campagne va continuer sur le mode Verdun. »
Newsweek a fouillé le passé pour voir si les Clinton savaient perdre. Le magazine a découvert « leur côté sombre » : « l'auto-apitoiement maussade » de Bill après avoir perdu le poste de gouverneur de l'Arkansas en 1980, « la paranoïa et le désir de revanche » d'Hillary. Si 75% des démocrates rêvent d'un « ticket » Clinton-Obama (ou Obama-Clinton), à en croire un sondage Gallup, c'est surtout parce qu'il offrirait la solution la plus simple au problème. En même temps, les deux tiers sont lucides et s'attendent à ce que le pugilat se poursuive jusqu'à la convention. Dans un article hilarant, le Washington Post a revisité le cauchemar du forum de 1924, où 103 tours de scrutin avaient été nécessaires pour produire un vainqueur, John Davis, laminé quatre mois plus tard par le républicain Calvin Coolidge.
« Ou bien le parti s'aligne derrière le candidat en tête au mois de juin, ou bien il s'autodétruira en août à Denver », prédit le consultant démocrate Bill Carrick. Encore faudrait-il qu'Hillary se retire avec grâce ou qu'on la pousse vers la sortie. Le gouverneur du Tennessee, Phil Bredesen, suggère d'organiser une sorte de caucus des superdélégués avant l'été afin de régler la question. Barack Obama s'y montre favorable, estimant que le candidat investi n'aura pas trop de deux mois supplémentaires pour préparer sa campagne contre John McCain. Hillary Clinton préfèrera-t-elle l'option 1924?
Philippe Gélie